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J.Hormière / février-mars 2002


Il y a 25 ans, Albert Van Helden publiait une étude remarquable sur l'invention du télescope.

Le texte qui suit est une série de notes de lecture, traductions et remarques diverses.

J'ai pris le texte dans l'ordre. Les remarques sont en petits carcatères.



The Invention of the Telescope

Albert Van Helden

The American Philosophical Society

Volume 67, Part 4 . 1977 (67 pages)



Introduction

Le télescope est le prototype de l'instrument scientifique moderne qui a joué un rôle important dans l'astronomie nouvelle du XVIIe siècle.

Il ne s'est pas écoulé deux années entre la nouvelle de son existence à l'automne 1608 et la parution du Sidereus Nuncius de Galilée.

Galilée avait entendu parler d'un certain Fleming qui aurait construit un télescope ; il aurait été incité à en fabriquer un lui-même par un noble français de Paris, Jacques Badovere (Sidereus Nuncius).

Dans la traduction de Hallyn, il s'agit "d'un habitant des Provinces des Pays-Bas".
Fleming= flamand ?

note 5 :
Pierre Borel appelait Sacharias Janssen primus conspiciliorum inventor, and Hans Lipperhey secundus conspiciliorum inventor (De vero telescopii inventore La Haye, 1655-1656).

Pendant le demi-siècle qui suivit l'invention du télescope, trois noms furent associés à celle-ci :

  • Jacob Metius d'Alkmaar (+ 1623, fabricant d'instruments dont le père, plusieurs fois maire d'Alkmaar, était un ingénieur militaire et un mathématicien (formule de pi : 355/113).


  • Hans Lipperhey de Middelburg (+ 1619, lunetier né à Wesel).


  • Sacharias Janssen de Middelburg (né vers 1588 à La Haye, lunetier).
Jacob Metius est cité par son frère Adriaen, professeur de mathématiques et d'astronomie, puis par Descartes (Dioptrique 1637).

D'après Girolamo Sirtori (Telescopium : sive ars perficiendi 1612-18 ?) Hans Lipperhey aurait appris d'un visiteur l'art de fabriquer cet instrument.

Sacharias Janssen est lui mentionné d'abord en 1656 par Pierre Borel, physicien et médecin de Louis XIV (De vero telescopii inventore). Il fait référence à ce que lui avait écrit l'ambassadeur hollandais à Paris, Willem Boreel, natif de Middelburg. Ce dernier avait des témoignages sur Hans Lipperhey et Sacharias Janssen. Borel en avait fait le tri pour retenir le second susnommé.

Huygens en 1682 découvre le premier document authentique daté du 15 octobre 1608 : une demande de brevet déposée par Jacob Metius, faisant référence à une autre demande qui aurait été déposée juste avant.

Jusqu'au XIXe siècle on cite fréquemment Jacob Metius et Sacharias Janssen, mais très peu Hans Lipperhey. Ce dernier réapparaît alors comme inventeur probable du télescope (Jan Hendrik van Swinden).

En 1906 un ouvrage important paraît : De uitvinding der verrekijkers (la découverte du télescope) de Cornelis de Waard. Il y précise la vie plutôt trouble de Sacharias Janssen (faux-monnayeur) et évoque le journal de Isaac Beeckman, ami de Descartes et recteur de l'école latine de Dordrecht, qui avait pris des leçons de polissage du fils de Sacharias Janssen ; ce dernier lui aurait raconté que le premier télescope avait été fait par son père en 1604, sur le modèle d'un instrument appartenant à un Italien et fabriqué en 1590.

En conclusion de l'introduction :

« It now appears that we may never know the identity of the inventor(s) of the telescope, and that all we can hope for is a better understanding of the state of art in the lens-grinding profession around the turn of the seventeenth century and its relationship to the more esoteric writings on optics of men like Giovanbaptista Della Porta and his contemporaries »

Il apparaît maintenant que nous ne pourrons jamais connaître l'identité de l'inventeur (ou des inventeurs) du télescope, et que tout ce que nous pouvons espérer est une meilleure compréhension de l'état de l'art dans la profession de polisseur de lentilles au tournant du dix septième siècle et de sa parenté avec les écrits sur l'optique les plus ésotériques de gens comme Giovanbaptista Della Porta et ses contemporains.

II. L'arrière-plan

Il est maintenant généralement admis que le télescope n'a pas pu être inventé bien avant 1600.

L'utilisation d'un tube sans lentille pour aider la vision était une pratique bien connue dans l'Antiquité. Aristote en parle, ainsi que de la façon d'observer les étoiles en se plaçant dans un trou ou dans un puits.

Les lentilles ont d'abord existé sous forme de pierres précieuses taillées, utilisées comme loupes ou aides visuelles. Mais ce n'est qu'au Moyen-Âge que sont apparues les lentilles de verre.

D'après Edward Rosen les lentilles datent des dernières décades du treizième siècle.
Il s'agissait de lentilles convergentes utilisées pour compenser la presbytie.

Si l'accommodation réduite est la cause de la presbytie qui apparaît lorsque le Proximum se trouve au-delà de la distance de lecture, l'accommodation décalée, qui fait que Remotum et Proximum sont rapprochés de l'œil, est constitutive de la myopie.

Il existe une corrélation entre la myopie et le travail au près des clercs et des étudiants. Une augmentation du pourcentage des myopes a été ainsi une conséquence de l'invention de l'imprimerie (1450).

Ce n'est qu'au milieu du quinzième siècle que seraient apparues les lentilles divergentes permettant de compenser la myopie.

Des correspondances diplomatiques indiquent qu'elles étaient en vente à Florence en 1451 et qu'elles pouvaient être achetées en quantité en 1462.

Nicolas de Cusa y fait allusion dans le De beryllo (1458).

La diffusion de ces verres divergents en Europe fut paraît-il assez lente. Toutefois, on les trouvait partout vers 1525, et une génération plus tard, elles faisaient partie des inventaires de tous les lunetiers.

Nous sommes donc environ en 1550. 50 ans sont encore nécessaires avant l'invention du télescope.

Question cruciale : quelles étaient les vergences de ces lentilles, vers 1550 ?

Ce sont les lettrés qui ont fait les lentilles :
d'abord les vieux, handicapés par la presbytie, ont eu besoin de verres convergents pour lire et écrire, puis la myopie gagnant, les jeunes ont eu besoin de verres divergents pour mieux vivre, en dehors de leurs écrits et de leurs livres, et voir au loin : la voute céleste, par exemple.


Le verre le plus faible était de deux à trois dioptries.

Les verres plus forts étaient pour les personnes plus âgées ou celles qui avaient été opérées de la cataracte.

Van Helden ne chiffre pas la vergence de ces verres-là.
Pour un aphaque il faut compter un verre de 12 dioptries environ - ce qui correspond à une loupe de grossissement commercial 3. Placé à 12 mm du sommet cornéen, ce verre donne une image rétinienne environ 31% fois plus grande que pour l'œil non aphaque, ce qui signifie que, si un seul œil est aphaque, pour que les deux images rétiniennes aient à peu près la même taille, et que la fusion puisse ainsi être facilitée, l'œil non aphaque doit être muni d'un système télescopique de grossissement 1,31.


Les verres de vergence inférieure à 2 dioptries étaient beaucoup plus difficile à fabriquer comme le montreront les recherches du dix septième siècle sur les télescopes.

Pour les télescopes, le diamètre était aussi un problème : surfacage d'une grande pièce de verre homogène.

On en sait encore moins sur la correction de la myopie.

On devait trouver chez les lunetiers, au tournant du siècle, des verres jusqu'à environ - 5 dioptries (8 inches de focale).

Plusieurs paires de verres pouvaient être réalisés avant de donner satisfaction au client :

« It must have required a more laborious process, often resulting in the artisan making several pairs to try to satisfy the customer, and we may surmise (conjecturer, supposer) that not all common spectacle-makers could (ou would) do this. »

Cela devait requérir un processus plus laborieux, dont la conséquence était souvent que l'artisan faisait plusieurs paires de verres pour essayer de satisfaire le client, et nous pouvons supposer que tous les lunetiers ordinaires ne pouvaient (ou ne voulaient) pas le faire.

Les méthodes de mesure des verres se développent nécessairement à ce moment-là, car il faut bien ranger les verres, les classer,les comparer, pour mieux les choisir ensuite :

    * mesure des courbures au compas (flèches), ou au calibre ;

    * mesure des focales ou des vergences par neutralisation.


La combinaison des verres précités donne une lunette de grossissement allant jusqu'à 2-2,5.

En avril 1609 Pierre l'Estoile examine à Paris un télescope qui fait environ un pied de long : 1 foot = 30,48 cm = 50 cm - 20 cm à un verre de + 2 dioptries et un verre de - 5 dioptries.
Cela donne un grossissement de 2,5.

Le premier télescope de Galilée grossissait trois fois.

Quelques petits calculs d'encombrement et de focales permettent de repréciser les valeurs extrêmes :
18 à 21 inches pour les verres convergents et 6 à 7 inches pour les verres divergents.

Le problème non résolu de la conception de l'instrument a amené de multiples spéculations sur la signification des écrits souvent confus des auteurs du seizième siècle. Il convient d'examiner cette littérature en fonction des discussions qui l'ont précédée.

Roger Bacon est souvent cité :

« from an incredible distance we might read the smallest letter and number grains of dust or sand »

nous pourrions à une incroyable distance lire la plus petite des lettres et dénombrer les grains de poussière ou de sable.

Vasco Ronchi a beaucoup insisté sur le refus des lettrés d'étudier, selon la tradition grecque, autre chose que la réfraction de la sphère entière - les lentilles distordant la réalité -, et jusqu'au seizième siècle en effet, les lentilles les intéressèrent peu.

La pratique des lentilles et des miroirs relève de la magie. Cette dernière est à la recherche d'effets spectaculaires, sinon miraculeux. Les grands noms du XVIe siècle sont :
John Dee (1527-1608) et Giovanbaptista Della Porta (ca 1535-1615).

Le fond commun qu'ils utilisent est constitué par les miroirs ardents avec lesquels Archimède aurait incendié une flotte et la camera obscura des artistes de la Renaissance.

Déjà Girolamo Fracastoro (1478-1553), Jacques Houllier (+ 1562), les Digges père et fils (Leonard + 1571, Thomas 1543-1575) et William Bourne (fl. 1565-1588) avaient décrit des dispositifs comportant des looking glasses (miroirs) et des perspective glasses (lentilles).

Le terme glass associé surtout aux miroirs vénitiens (verre + tain) existe dans le glace utilisé en français pour les miroirs (se regarder dans une glace).

Les combinaisons catadioptriques semblent exister plus dans les écrits que dans la réalité ; d'ailleurs les choix des composants ne semblent pas adaptés à la réalisation d'un télescope.

La seule référence aux lentilles divergentes relevée serait dans Digges, reprise vraisemblablement par Bourne :

« glasses concave and convex of circulare et parabolicall fourmes, using for multiplication of beames sometime the ayde of glasses transparent, whiche by fraction should unite or dissipate the images or figures presented by the reflection of other »

des glaces concave et convexes de formes circulaires et paraboliques, utilisant pour multiplier les rayons parfois l'aide de verres transparents qui par fractionnement [réfraction] devaient unifier ou dissiper [les faisceaux convergents unifient l'image - la restituent-, alors que les divergents l'éparpillent] les images ou figures présentées par la réflexion des autres [des miroirs].

Les miroirs paraboliques ne pouvaient être fabriqués à cette époque là ; ils restaient donc une vue de l'esprit.

Les systèmes grossissants obtenus seraient plutôt de type loupes (lentille convergente contre miroir plan par exemple).

Les magnifying glasses n'étaient-ils pas aussi simplement des verres compensateurs magnifiant, c'est-à-dire rendant plus beau, visible en un mot, ce qu'une vision amétrope rendait quelque peu trouble ? Le grandissant ne serait alors qu'une façon d'exprimer la magnificence.


La citation de Della Porta dans laquelle beaucoup ont vu une anticipation du télescope est ensuite analysée et replacée dans son contexte :

« Concave Lenticulars will make one see most clearly things that are afar off ; but Convexes, things neer hands ; so you may use them as your sight requires. With a Concave you shall see small things afar off, very clearly ; with a Convex, things neerer to be greater, but more obscurely : if you know how to fit them both together, you shall see both things afar off, and things neer hand, both greater and clearly. »

Les Lentilles Concaves nous font voir très clairement les objets éloignés ; mais les Convexes, les objets à portée de main ; ainsi vous pouvez les utiliser selon les besoins de votre vue. Avec une Concave vous verrez très clairement les objets éloignés ; avec une Convexe, les objets plus proches apparaîtront plus grands, mais plus obscurément : si vous savez comment les ajuster ensemble, vous verrez plus grands et clairement à la fois les objets éloignés et les objets à portée de main.

Della Porta ne parle ici que de la correction de la vision déficiente et non pas de l'extension de la vision normale. La suite de son texte, où il parle de ses amis amétropes qu'il a pu aider, est à ce sujet plus explicite.

Les petits télescopes peuvent être des aides visuelles pour les amblyopes, dont l'acuité reste faible, quelles que soient les compensations utilisées, et qui ne trouvent une amélioration de leurs performances visuelles, que dans l'agrandissement des images rétiniennes.

Le clairement du texte précité renvoie à ce que l'on qualifierait aujourd'hui par nettement, et le obscurément, par flou.

Le grandissement est l'effet de grossissement (léger, mais perceptible surtout si les additions commençaient à 2 ou 3 dioptries) induit par les verres convergents pour presbytes, avec certainement une confusion avec les loupes.

Enfin la combinaison des deux types de verres concernerait une espèce d'amétropie où vision de loin et vision de près seraient altérées : le cas des vieux petits myopes par exemple dont le Remotum est à distance finie (1m par exemple) et le Proximum trop éloigné (50 cm par exemple) pour pouvoir et observer au loin, et travailler au près.


III. Entre Porta et Lipperhey (1589-1608)

Pourquoi d'abord l'invention de la lunette de Galilée, et pas celle de Kepler ?

Et comment une personne expérimentant ou jouant avec des lentilles a-t-elle pu découvrir les deux systèmes grossissants ?

Le point de départ est constitué des propriétés suivantes, connues par Della Porta :

  1. Les lentilles convexes agrandissent les objets mais les rendent indistincts.


  2. Les lentilles concaves restituent les objets avec plus de finesse, mais plus petits.


  3. Plus les verres sont forts, et plus importants sont les effets de grandissement ou de rapetissement.
Il existe douze façons de combiner des verres convergents et divergents, si l'on tient compte du nombre de verres utilisés : un ou deux, de leur nature : convergent (convexe) ou divergent (concave), et de leur vergence (puissance) : identique en valeur absolue ou différente. Les verres sont donnés dans l'ordre où la lumière les rencontre avant d'entrer dans l'œil.

  1. 1 verre convergent
  2. 2 verres convergents identiques
  3. 1 convergent fort et un convergent faible
  4. 1 convergent faible et un convergent fort
  5. 1 verre divergent
  6. 2 verres divergents identiques
  7. 1 divergent faible et un divergent fort
  8. 1 divergent fort et un divergent faible
  9. 1 divergent faible et 1 convergent fort
  10. 1 convergent fort et 1 divergent faible
  11. 1 divergent fort et 1 convergent faible
  12. 1 convergent faible et un divergent fort
Van Helden ne décrit que 10 cas de figure, car il regroupe les cas 6, 7 et 8 en un seul. Certaines de ses conclusions prêtent à discussion (voir animation Java ci-dessous et chapitre 10).

On pourra relever qu'il faut attendre le dernier cas de figure pour tomber sur le bon télescope !


1ère manip

Une lentille convergente de focale 6 pouces (+ 6,5 dioptries) est placée contre l'œil. On regarde à travers celle-ci le coq d'une girouette. L'image est droite, mais brouillée.

Quand on éloigne le verre de l'œil, le grossissement augmente, mais le flou également, et ce jusqu'au foyer, où l'on ne distingue plus rien du tout (cf. Bourne).

Si l'on dépasse cette position, le coq réapparaît, agrandi, renversé et flou.

La taille décroît et la netteté augmente. À une douzaine de pouces de l'œil l'image est nette, renversée et de même taille que l'objet vu à l'œil nu.

Là Van Helden se trompe : passé le foyer, l'image apparaît nette dès que l'on peut accommoder sur celle-ci ; cela nécessite certes une bonne accommodation - donc une certaine jeunesse - et une bonne concentration, mais cela permet tout de même d'avoir un effet de grossissement supérieur à 1 ; l'œil est dans ces conditions placé entre le foyer image du verre F' et le point antiprincipal image X' situé à deux fois la focale du verre.

La distance de 12 inches (le double de la focale) pour laquelle l'image serait vue nette, correspond à une accommodation de 100/(12x2,54) = 3,3 dioptries. Cette valeur peut assez facilement être dépassée par un jeune emmétrope
(voir chapitre 9).


Au-delà l'image nette diminue jusqu'à devenir trop petite pour être discernée.

« We know now, therefore, that a single convex lens will not give us an image that is both enlarged and in sharp focus. »

Nous savons maintenant, d'après ce qui précède, qu'une lentille convexe ne peut pas nous donner une image qui soit à la fois agrandie et nette.

En dépit de ce flou de l'image, que Bourne associe à la mauvaise qualité des verres, notre inclinaison naturelle nous pousse à combiner les effets grossissants de deux verres convergents.

Sur la remarque de Bourne :

Les verres convergents étant plus épais sur l'axe que les verres divergents, les défauts dans la masse (bulles, opacités) sembleraient plus gênants.

Qu'en est-il réellement ?

Les verres divergents sont minces au centre, épais au bord, et les rayons qui entrent dans l'œil passent par des points intermédiaires situés entre centre et bord et approximativement contenus dans la projection orthogonale sur le verre de la pupille d'entrée du système verre + œil.

Comme en outre cette pupille d'entrée est plus petite pour un myope compensé que pour un presbyte ou hypermétrope, l'assertion de Bourne semble plausible.

Exemples : myope de - 3 dioptries et presbyte de + 3 dioptries ; verre à 1 cm de l'œil (de la pupille d'entrée) ; pupille d'entrée de l'œil de 3 mm.

|gy| = |FH/FA| = 33,33/32,33 = 1,03    pupille d'entrée verre + presbyte = 3,09 mm
|gy| = |FH/FA| = 33,33/34,33 = 0,97    pupille d'entrée verre + myope = 2,91 mm

La variation relative est de 6%. Ce premier facteur influe peu.

Le facteur déterminant serait que l'épaisseur maximum de verre traversée par les rayons qui passent par la pupille de l'œil est plus grande pour un verre convergent.

Le tableau suivant permet de préciser d'une part les variations d'épaisseurs maximum, et d'autre part les variations de transparence - ou de facteur de transmission - qu'elles peuvent induire.

D n eb (ou ec) pup œil T (2mm)
3 dpt 1,5 1 mm 3 mm 65%
diamètre ec (cx) ebpup (cc) De/e DT/T
20 mm 1,300 mm 1,025 mm 27% 5%
25 mm 1,469 mm 1,025 mm 43% 8%
30 mm 1,675 mm 1,025 mm 63% 11%

D :  vergence (ou puissance) du verre
n :  indice de réfraction du verre
eb (ou ec) :  épaisseur au bord du verre convergent
   (ou épaisseur au centre du verre divergent)
pup œil :  diamètre de la pupille d'entrée de l'œil
T (2mm) :  facteur de transmission d'un verre
   légèrement teinté de 2 mm d'épaisseur
diamètre :  diamètre du verre
ec (cx) :  épaisseur au centre du verre convexe
ebpup (cc) :  épaisseur du verre concave en un point
   correspondant au bord de la pupille de l'œil
De/e :  variation relative d'épaisseur
DT/T :  variation relative du facteur de transmission


Il ressort des valeurs ci-dessus que la variation relative d'épaisseur est importante, mais par contre que la variation relative de transmission reste assez réduite, sauf pour des verres de grand diamètre, mais qui n'étaient pas utilisés en lunetterie au début du XVIIe siècle, ou bien pour des verres de médiocre transparence.

L'affirmation de Bourne semble donc, en définitive, contestable.

Sur l'enchaînement de Van Helden :

Pour passer du verre convergent au doublet de verres convergents Van Helden met en avant la sommation des grossissements.
Mais le flou varie de la même façon que le grossissement, et du flou plus du flou donne encore plus de flou.
Il y a donc autant de raison de ne pas combiner deux verres convergents (dégradation de la qualité de l'image), que de les combiner (augmentation de la taille apparente de l'image).
Accoler deux verres convergents, c'est aussi simuler un verre de plus forte puissance que chacun des verres pris séparément, ce qui revient à étendre la gamme des puissances disponibles.


2ème manip

On associe maintenant deux verres convergents de 6 pouces de focale (+ 6,5 dioptries).

Quand les verres sont accolés et placés contre l'œil on voit toujours l'image du coq, floue, droite, de même taille apparente qu'à l'œil nu.

Si l'on éloigne le second verre du premier l'image grandit et devient de plus en plus floue jusqu'à une distance de 6 pouces où l'on ne voit plus rien.

Ensuite l'image devient moins floue, plus petite et renversée.

La netteté apparaît pour une distance de 12 pouces, puis la taille diminue.

Deux verres convergents identiques permettent de réaliser une lunette de Kepler de grossissement 1, si la distance qui sépare les verres est égale à la somme des focales (ici 12 pouces).
Si la distance entre les verres est égale à une fois et demi la focale d'un verre (9 pouces), l'image instrumentale est dans le plan focal objet du verre d'œil, c'est-à-dire à 6 pouces de l'œil. Elle nécessite pour être vue nette une accommodation de 6,6 dioptries. L'image est renversée et le grossissement est égal à 2.


3ème manip

On combine maintenant un fort convergent et un faible convergent.

6 et 18 pouces de focale soit, pour simplifier, 6 et 2 dioptries de vergence.

L'ordre des verres intervient.

Si l'on place le faible devant l'œil et l'on éloigne le fort, le résultat est le même qu'avec un fort convergent seul.

4ème manip

Dans le cas inverse le résultat est différent (verres de 6 et 18 pouces de focale) :

L'image droite et floue croît. Pour 18 pouces tout disparaît ; à 24 pouces l'image renversée est nette et trois fois plus grande que l'objet.

La distance de 24 pouces (61 cm) correspond au verre tenu à un bout de bras pour une grande personne.
A cette distance là, il est difficile d'aligner les verres.

Avec un verre de 12 pouces la manip est plus facile, mais le grossissement est moins évident.

De plus :

« the desired effect can be found only within a narrow range of distances beteween the two lenses »

l'effet désiré ne peut être trouvé que dans un étroit domaine de distances entre les deux lentilles.

Il s'agit là d'un problème de la profondeur de champ qui sera développé au chapitre 9.

5ème manip

Une seule lentille concave donne une image plus petite et nette.
Quand on l'éloigne de l'œil, l'image reste nette mais sa taille diminue.

6ème manip

Deux lentilles concaves additionnent leurs effets peu importe la distance qui les sépare.
Il n'y a donc pas de possibilité d'obtenir un grossissement avec deux lentilles concaves.

7ème manip

Fort convexe près de l'œil et faible concave.
Effet de grossissement, image droite et floue.
Quand on éloigne le concave, la taille diminue et le flou augmente.

8ème manip

En permutant : faible concave près de l'œil et fort convexe que l'on éloigne, on observe tout d'abord une image droite brouillée, puis quand on éloigne le fort convexe, la taille et le flou de l'image augmentent jusqu'au foyer de la convexe ou toute définition disparaît. Au delà de ce point l'image légèrement agrandie, renversée, va diminuer et retrouver la netteté à environ deux fois la distance focale de la lentille convexe ; à cet endroit elle apparaîtra plus petite qu'à l'œil nu.

9ème manip

Maintenant on choisit la combinaison où la lentille concave est plus forte que la convexe (- 6 dpt et + 2 dpt environ)..

Quand la lentille convexe est placée près de l'œil et que la concave est éloignée, l'image est nette , droite, mais sa taille diminue de plus en plus.

10ème manip

Quand finalement la forte concave est placée près de l'œil et que l'on éloigne la convexe, l'image est nette, droite. Au début elle est plus petite qu'à l'œil nu, mais sa taile crôit pour atteindre trois fois celle qui serait obtenue à l'œil nu, lorsque la distance des lentilles est égale à 12 inches.

Il semble naturel de placer d'abord la divergente près de l'œil car on voit toujours net au travers d'elle et en particulier la lentille convergente qui est dans le champ.

Porta peut bien avoir utilisé un dispositif grossissant comme la lunette hollandaise, mais ce n'est pas ce qu'il recherchait (à la suite de Roger Bacon and co), à savoir un dispositif miraculeux.
En août 1609 d'ailleurs, quand on lui montrera une lunette, il dira l'avoir mentionnée dans le neuvième livre de son De refractione (une erreur d'après ven Helden qui situe la mention dans le dix-septième livre de la Magia naturalis) et la qualifiera de hoax, c'est-à-dire de mystification (où l'on retrouve les phantasmes et toutes les illusions attribuées aux instruments d'optique, à leur début ; voir Ronchi et Simon jh), et non pas d'invention.

Raffael Gualterotti (1548-1639) écrivit à Galilée en avril 1610 qu'il avait lui aussi fabriqué un tel type de lunette en 1598, comme celle décrite par Porta en 1589, pour aider les soldats dans les joutes et les combats. Mais à petite distance comme dans les joutes un tel engin avec un fort gros-sissement aurait été inefficace. La lunette de Gualterotti aurait eu un très faible grossissement et aurait été vite oubliée.

Entre le texte de Porta (1589) et la demande de brevet de Lipperhey (1608), les lentilles concaves étaient devenues beaucoup plus communes, elles avaient pris de la puissance pour compenser des myopes plus forts. Le lentilles convergentes avaient gagné en focale. On trouvait donc chez les lunetiers des lentilles qui bien combinées pouvaient donner un grossissement supérieur à deux.

At precisely this point the fanciful notions about miraculous devices for seeing faraway things were grafted onto particular combination of lenses which had been known for some time. In this confluence of the tradition of Friar Bacon and the anonymous craft tradition the modern concept of the telescope was born. Its birth certificate (now lost) is Lipperhey's patent application of Oc-tober, 1608, its first cry was Galileo's Sidereus Nuncius of March, 1610, and its baptism was the Lyncean feast on the Malvasia on 14 April, 1611.

Edward Rosen, The Naming of the Telescope (New York, Abelard-Schuman, 1947).

A ce moment précis les notions fantaisistes de dispositifs miraculeux pour voir des objets loin-tains furent greffées à la combinaison particulière de lentilles connue depuis quelque temps. Dans cette confluence de la tradition de frère Bacon et de la tradition anonyme des artisans était né le concept moderne de télescope. Son certificat de naissance (aujourd'hui perdu) est la demande de brevet de Lipperhey en octobre 1608, son premier cri fut le Sidereus Nuncius de Galilée en mars 1610, et son baptême fut la fête du lynx sur le Malvasia le 14 avril 1611.

IV. Lipperhey, Metius et Janssen

Si la préhistoire du télescope se situait en Angleterre (Roger Bacon) et en Italie (della Porta), son histoire commença, selon les sources dont on dispose, aux Pays-Bas et plus précisément dans les deux provinces occidentales, la Hollande et la Zélande.

Middelburg, cité florissante après la reddition d'Anvers aux Espagnols en 1585 et la fermeture consécutive de la Schelde, était le siège du gouvernement de la province de Zélande.

Le 28 septembre 1608 (du calendrier grégorien), le Comité des Conseillers de la province de Zé-lande écrivit une lettre à l'un des délégués de la province aux Etats-Gébéraux à La Haye. Cette lettre demandait au délégué de recommander son porteur au prince Maurice, comte de Nassau, alors Stadholder de cinq des sept provines et commandant en chef des forces armées hollandaises. Le porteur écrivaient-ils revendiquait « un certain dispositif au moyen duquel tous les objets à très grande distance pouvaient être vus comme s'ils étaient proches, en regardant à travers des verres, ce qui était, assurait-il, une nouvelle invention ». Une semaine plus tard exactement (5 octobre) un relevé fut fait dans le livre des minutes des Etats-Généraux décrivant la demande de brevet de Hans Lipperhey, natif de Wesel, et actuelle-ment citoyen de Middelburg, où il était lunetier.

Il fut convenu que Lipperhey fabriquerait trois télescopes binoculaires avec des lentilles en cristal de roche (quartz) pour lesquels il toucherait 900 guilders. Le 5 octobre, il recevait une avance de 300 guilders ; il livrait le premier binoculaire et le 15 décembre, après examen de l'instrument, par la commission, la demande de brevet fut rejetée. Les deux derniers binoculaires furent livrés le 13 février 1609.

Le rejet du brevet viendrait du fait que le 14 octobre quelqu'un (Sacharias Janssen, d'après Cornelis de Waard, qui avait environ vingt ans et était lunetier à Middelburg) avait revendiqué la fabrication de tels instruments et en avait montér un devant le Comité des Conseillers de Zélande qui auraient prévenu leur représentant à La Haye.

Un troisième larron (Jacob Metius) intervient par une lettre écrite autour du 15 octobre, où il explique qu'il a depuis deux ans étudié ma puissance des lentilles et réalisé un instrument pour voir les objets éloignés.

Comment préciser tout cela ?

Simon Marius (1570-1624), découvreur contesté des satellites de Jupiter, écrit dans son Mundus jovialis, publié en 1614, comment il apprit la découvert du télescope. Son patron Johann Philip Fuchs von Bimbach aurait rencontré à la foire de Fanckfort en 1608 (du 15 août au 8 septembre selon certaines sources, mais à corriger du 8 septembre à trois semai-nes plus tard d'après les recherches de vH) un hollandais qui lui aurait montré un télescope dont l'un des verres était cassé, avec un effet grossissant indéniable. Le prix demandé aurait été trop élevé et les discussions en seraient restées là.

Pour de Waard, le hollandais de Franckfort aurait été Janssen le marchant ambulant.

De retour à Middelburg vers le 13 octobre, il aurait appris la demande de brevet de Lipperhey et aurait don réclamé auprès du Comité des Conseillers de Zélande.

Van Helden poursuit son enquête.

1ère hypothèse :

Lipperhey est l'inventeur.

Le jeune homme (Janssen ?) entend parler le l'invention et la copie pour la présenter ensuite le 14 octobre.
Metius, de par sa famille, apprend par un représentant de sa ville d'Alkmaar revenu de La Haye la présentation de l'invention. Il fabrique rapidement, ou retrouve un instrument analogue (mais qui lui aurait servi à autre chose : aide visuelle pour les amblyopes ou des personnes âgées ?), et fait une demande de brevet discutée le 17 octobre.

En définitive il est bien probable que l'invention ait été originaire d'Italie, mais elle serait restée en dormance : une aide visuelle sans plus, jusqu'au moment où, le progrès de verres aidant assuré-ment (Middelburg possédait une verrerie depuis 1581 avec de nombreux ouvriers italiens et à partir de 1605, un patron italien), elle aurait pu être appliquée à l'observation des objets éloignés.

En effet, les aides visuelles ont de petits grossissements jh

The question then, as to who invented the telescope boils down to the question : who first real-ized that such a device could be used for another purpose and set about adapting and improving it in order to obtain the greatest magnification possible ?

La question donc de la recherche de l'inventeur du télescope se réduit à la question : qui le pre-mier a réalisé qu'un tel dispositif pouvait être utilisé à un autre dessein et l'a adapté et testé de façon à obtenir le plus fort grossisement possible ?

La question est donc moins celle de l'invention du télescope que celle de l'application d'un instrument déjà existant à l'observation d'objets éloignés.

Mais il n'y a pas de réponse à cette question !

La seule chose dont on soit sûr c'est la priorité de la demande de brevet de Lipperhey.

Metius de par son milieu familial était le plus érudit et donc le plus susceptible à laisser des traces écrites ou des témoignages familiaux solides.

Mais tout allait peut être trop vite (pour les historiens des sciences et des techniques) ! jh

V. Postface

La demande de brevet de Lipperhey se produit à un moment où une conférence de paix a lieu à La Haye entre Hollandais et Espagnols avec la médiation des Français.

La nouvelle, et la recette de l'invention circuleront rapidement :
des lunettes seront en vente dans les échopes à Paris en avril 1609, Milan en mai, Venise et Na-ples en août.

Les verres ne sont pas toujours de bonne qualité et Galilée fera rapidement progresser l'instrument en augmentant de façon importante le grossissement (jusqu'à trente). Il utilise des diaphragmes qui réduisent les aberrations des objectifs. Il donne un statut scientifique à l'instrument.

La hâte avec laquelle Galilée a publié ses observations est expliquée par la "concurrence".

Thomas Harriot en Angleterre observe la lune et la cartographie dès le 5 août 1609 avec un téles-cope grossissant six fois. Le 27 juillet 1610 il en a un grossissant dix fois et le 14 août, un grossis-sant vingt fois.

Simon Marius observe les atellites de Jupiter durant l'été 1610. Christoph Scheiner et Nicholas Claude Fabri de Peiresc avaient aussi de bons instruments.

Mais les progrès venaient aussi d'une autre direction.
Kepler dans les six mois de la publication du Sidereus Nuncius faisait paraître sa Dioptrice, où il envi-sageait d'autres systèmes grossissants.

Sa lunette avec oculaire convergent sera utilisée pour obtenir des projections du soleil et vers 1650, les lunettes de Kepler remplaceront les lunettes de Galilée.

VI. Documents

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