Ubu était-il ZEN ?
et Jarry opticien ?

L' À propos de DinOOptic donnait comme devise des dinosaures de l'optique :

ZEN + CHOLESTéROL

Essayons, après le casse-tête précédent qui ne vous a, je l'espère, point fait perdre la boule, d'approfondir cette philosophie profonde sur l'exemple du père Ubu, mais aussi d'aller explorer un texte de son père adoptif : Alfred Jarry.


« PÈRE UBU. -  Cornegidouille !
nous  n'auront point tout démoli
si nous ne démolissons même les
ruines  !  Or  je  n'y  vois  d'autre
moyen   que   d'en   équilibrer  de
beaux  édifices  bien  ordonnés. »


(exergue de UBU ENCHAÎNÉ
Alfred Jarry, 1900)


  1. Les liens entre le paradoxe de la boule creuse qui se remplissant devient infiniment divergente (voir feuille précédente de la rubrique curiosités), le ZEN et le père UBU sont multiples, quoiqu'il en puisse paraître à première vue :

    • Tout d'abord, l'assimilation du père UBU à une boule ne fait aucun doute : UBU est un expert dans l'art de vider le plein (voir la pompe à phynances), afin de remplir le vide (ses poches).

    • Ensuite, la flèche ailée de ZENon, et le paradoxe qu'elle porte dans son immobilité même - qui annonçaient l'étude sur la boule - ne peuvent que renvoyer à l'art du tir à l'arc et à la culture du paradoxe, propres au boudhisme ZEN.

    • Enfin, la gidouille du père UBU et son éloquente spirale (voir dessin ci-dessous) font penser : au Bouddha, lointain précurseur du ZEN, au jardin sec de sable strié et de rocs épars des jardins de même nom, et bien sûr aussi à la cible que la flèche ailée...


    Le père UBU



  2. et l'optique dans tout çà ?

    Un extrait du célèbre texte de Jarry sur le théâtre nous ramène dans le droit fil du travail des dinosaures de l'optique.
L'acteur « se fait la tête », et devrait tout le corps, du personnage. Diverses contractions et extensions faciales de muscles sont les expressions, jeux physionomiques, etc. On n'a pas pensé que les muscles subsistent les mêmes sous la face feinte et peinte, et que Mounet et Hamlet n'ont pas semblables zygomatiques, bien qu'anatomiquement on croie qu'il n'y ait qu'un homme. Ou l'on dit la différence négligeable. L'acteur devra substituer à sa tête, au moyen d'un masque l'enfermant, l'effigie du PERSONNAGE, laquelle n'aura pas, comme à l'antique, caractère de pleurs ou de rire (ce qui n'est pas un caractère), mais caractère du personnage : l'Avare, l'Hésitant, l'Avide entassant les crimes...
Et si le caractère éternel du personnage est inclus au masque, il y a un moyen simple, parallèle au kaléidoscope et surtout au gyroscope, de mettre en lumière un à un ou plusieurs ensemble, les moments accidentels.
L'acteur suranné, masqué de fards peu proéminents, élève à une puissance chaque expression par les teintes et surtout les reliefs, puis à des cubes et exposants indéfinis par la LUMIÈRE.
Ce que nous allons expliquer était impossible au théâtre antique, la lumière verticale ou jamais assez horizontale soulignant d'ombre toute saillie du masque et pas assez nettement parce que diffuse.
Contrairement aux déductions de la rudimentaire et imparfaite logique, en ces pays solaires il n'y a pas d'ombre nette, et en Égypte, sous le tropique du Cancer, il n'y a presque plus de duvet d'ombre sur les visages, la lumière était verticalement reflétée comme par la face de la lune et diffusée et par le sable du sol et par le sable en suspens dans l'air.
La rampe éclaire l'acteur selon l'hypoténuse d'un triangle rectangle dont son corps est l'un des côtés de l'angle droit. Et la rampe étant une série de points lumineux, c'est-à-dire une ligne s'étendant indéfiniment, par rapport à l'étroitesse de la face de l'acteur, à droite et à gauche de l'intersection de son plan, on doit la considérer comme un seul point éclairant, situé à une distance indéfinie, comme si elle était derrière le public.
Celui-ci est distant par suite d'un moindre infini, pas assez moindre pour qu'on ne puisse considérer tous les rayons réflétés par l'acteur (soit tous les regards) comme parallèles. Et pratiquement chaque spectateur voit le masque personal d'une façon égale, avec des différences à coup sûr négligeables, en comparaison avec des idiosyncrasies et aptitudes à différemment comprendre, qu'il est impossible d'atténuer - qui d'ailleurs se neutralisent dans une foule en tant que troupeau, c'est-à-dire foule.
Par de lents hochements de haut en bas et bas en haut et librations latérales, l'acteur déplace les ombres sur toute la surface de son masque. Et l'expérience prouve que les six positions principales (et autant pour le profil, qui sont moins nettes) suffisent à toutes les expressions. Nous n'en donnons pas d'exemple, parce qu'elles varient selon l'essence première du masque, et que tous ceux qui ont su voir un Guignol ont pu les constater.

A.Jarry / De l'inutilité du théâtre au théâtre (Mercure de France, septembre 1896).



Ubu, c'est un professeur de physique hyperchahuté du Lycée de Rennes, ancien élève de Normale Sup', agrégé, père de 9 enfants, mouchard de police contre les communards à Limoges... qui servit de modèle à une farce de potaches - Les Polonais - écrite par les frères Morin. Alfred Jarry qui était lié d'amitié avec eux reprit le personnage, le nomma Ubu, et le rendit célèbre.

Alfred Jarry (1873-1907), né à Laval. Fils d'une bonne famille (père négociant en tissus et mère, fille d'un juge de paix) qui subit des revers de fortune, il fit d'excellentes études à Saint Brieuc, puis Rennes, avant d'aller à Paris où, élève au Lycée Henri IV, il présenta plusieurs fois, sans succès, le concours d'entrée à l'École normale supérieure. Sa participation à plusieurs revues littéraires et artistiques et surtout ses textes, dont Ubu roi (1896), qui fit scandale lors de la première représentation, le rendirent célèbre. Il mourut ruiné, emporté par l'alcool et la tuberculose.

Mounet-Sully (1841-1916), acteur célèbre du Théâtre Français qui joua, entre autres, le Hamlet de Shakespeare.


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